Une nuit sous l’orage

Une nuit sous l’orage

Après une intense journée de navigation, j’ai eu à peine le temps d’installer mon campement pour la nuit et de faire une réserve de bois sec, que l’orage a éclaté. Le tonnerre et les éclairs sont des phénomènes naturels très plaisants à voir à travers la fenêtre de ma maison, bien calé dans mon fauteuil, avec une tisane de camomille à la main. Mais recroquevillé sous mon packraft, en essayant de protéger mon feu, de garder ma chaleur, tout en conservant mon bois à l’abri, ce n’est pas de la tarte… de la tarte… hum… de la tarte!

Parlons un peu de ma nouvelle amie, l’humidité. Mais qui est-elle cette coquine?

L’humidité, c’est la quantité de vapeur d’eau qui se trouve dans une particule d’air. Aussi simple que cela! Elle est présente en permanence dans l’atmosphère et même dans les déserts les plus arides, alors elle est omniprésente au Yukon! Les rayons du Soleil réchauffent la surface de la Terre et provoquent l’évaporation de l’eau des océans ou de certaines rivières qui ensuite se déversent sur moi. Un océan de gouttes, sur ma tête, serrées les unes contre les autres comme des militaires nord-coréens en parade me cernant de tous les côtés. Oui, la pluie c’est moche, mais doublée des ténèbres, c’est encore plus déprimant. Ajoutons à cela la fatigue, le goût très présent en bouche de la barre tendre, l’estomac insatisfait et une ritournelle de vers d’oreille qui ne m’a pas abandonné de la journée, c’est un peu long. Après plus d’une semaine en survie, je sais précisément où je me trouve : oui, je le sais! Je suis assis dans une flaque d’eau. Voilà ma véritable position, les fesses dans la flotte. Une inconfortable position.

Si au moins j’avais mon anorak de Kayak.
Mais non, je n’ai pas de manteau.
Mais oui, je vous jure.

J’ai oublié de le mettre dans mes affaires avant mon départ pour le Yukon. J’en ai fait des meilleures, je le sais. Je croyais avoir tout prévu et au moment de monter dans l’hélicoptère, eh bien, je me suis rendu compte que je n’ai pas de manteau. Derrière moi, j’ai laissé une superbe pièce d’équipement caoutchoutée pouvant me servir de protection contre cette humidité qui m’accable. Ce que j’ai fait? Simple, deux sacs à ordure, un peu de gaffer tape et je me suis taillé un vêtement d’urgence. Alors depuis le début de l’aventure, c’est ce que je porte pour me protéger des intempéries. Facile à sécher et très léger, il n’est cependant pas très chaud. Ce soir, mon anorak me manque… il pleut des cordes et je m’humidifie sous des sacs-poubelle.

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À 10 % d’humidité relative, l’air nous semble sec, à 50 % il est confortable, à 80 % on ressent une certaine lourdeur et au voisinage de 100 %, l’humidité commence à se condenser : brouillard, brume. Moi, j’ai l’impression que ma nouvelle copine donne, comme les joueurs de hockey, son 110 %.

Si l’humidité trouve sa place jusqu’à mon estomac, j’aurai des maux de ventre et l’impression d’être gonflé. Si elle s’attarde à mes poumons, ce sera une respiration laborieuse et une sensation d’oppression qui m’attendent. Possibilité d’enflure et d’œdème si ma copine entre dans la circulation de mes liquides organiques. Elle contribue aussi à la production de la cire au bord des yeux, de suintements en cas de maladies de peau et d’urines troubles. C’est super l’aventure, on se fait des amies!

L’eau et l’orage font tellement de bruit qu’il me prend l’envie d’écouter de la musique. Pas le vers d’oreille qui me pourrit la vie depuis le début de ma journée, mais autre chose. (Pas la reine des neiges non plus. J’ai traversé l’Antarctique, la reine des neiges, c’est moi!) Peut-être est-ce une envie de reconnecter avec d’autres humains, car je suis avant tout, comme tous les hommes, une créature sociale. La musique est la preuve concrète de ce que les humains font de plus beau dans notre monde. Pas étonnant que la sonde « Voyager I » porte en elle des œuvres de Bach, Beethoven, Stravinsky ainsi que des hymnes traditionnels d’une quantité de pays. Si des extra-terrestres tombent sur la sonde, ceux-ci pourront entendre ce que nous faisons de plus beau. Ils pourront venir au Yukon, rencontrer mon amie l’humidité, tomber malade et mourir avant de regagner leur planète. Ou peut-être enverront-ils un explorateur galactique, trop bête pour avoir apporté son anorak, qui viendra à notre rencontre avec des sacs-poubelle sur le dos. Pfft… parfois, je me donnerais moi-même un coup de pied au cul si je le pouvais. Quoique, ici, je peux bien essayer, j’ai du temps! En fait, je n’ai vraiment que cela à faire.

Seul dans les ténèbres, avec la pluie et le froid, je pense à ma journée de demain, une journée de plus vers le fleuve Mackenzie. Un fleuve très large où des vagues énormes peuvent rapidement se créer! Un fleuve long et qui coule vers le Nord et qui peut me transporter jusque chez les Inuits si je manque ma sortie.

Ah oui, le « Carpe diem »! La belle théorie de l’aventurier qui a mangé et qui réfléchit les fesses au sec. Eh bien, ce soir, dans mon trou d’eau, j’ai le « saisir le jour » un peu moins emballé. Heureusement, au retour, il me restera de cette expérience que les souvenirs, sans les souffrances qui lui sont associées.

Je me souviendrai certainement, du moins, de ma conversation avec l’humidité… une conversation qui m’élève et me rend pluvieux… plus vieux…

Bah, laissez tomber… c’est de l’humour d’un gars perdu au Yukon qui passe la nuit dans un sac-poubelle.

Fred en trois points : 

Moral :  8 sur 10
Physique :  6 sur 10
Ce qui lui manque : de la musique

Capsule de Fred ayant servie à l’écriture de ce texte : 

Progression de Fred

Carte interactive_Yukon-08-25-2016

Bandeau conférence

25 réponses à “Une nuit sous l’orage

Je suis certain que Fred ne s’attend pas à atteidre son objectif si rapidement et qu’il aurait souhaité que son aventure dure beaucoup plus longtemps malgré le coefficient de difficultés qu’il représente.

Il voudra très rapidement relever un autre défi personnel encore plus exaltant.

Merci Fred de nous permettre de suivre ton aventure avec autant d’authenticité.

Bonne fin d’aventure !

Hier, Frédéric, tu as dit que la liberté, c’est le courage (bout d’une citation) eh bien! ne lâche pas et je te suis comme toujours, mais sans le dire à mes élèves de l’école Explorami (Ste-Angèle) puisque c’est le temps de ma retraite et de vivre d’autres aventures comme toi. J’aimerais bien me servir de tes textes tellement inspirants en ce début d’année scolaire pour les motiver, mais je m’en servirai pour ma nouvelle vie. Alors, ne lâche pas et le défi c’est: pas d’anorak… avec la bonne-humeur. Ton humour et tes jeux de mots sont extraordinaires. Ça garde jeune…
Francine

C’est fou que tu arrives à nous faire autant rire…bel esprit que le tien dans cette tourmente héroïque qui, même si elle est voulue, confronte notre confort devenu si facile.
Voici une idée du décor de Fred dans les prochains jours:
https://www.youtube.com/watch?v=ll6gPXXT_RY

Pour la musique en milieu humide…pense à un air de piano aqueux :):)

Hey! l’aventurier tu t’en sors fort bien…bientôt la délivrance.

Bonsoir Fred, d’une journée à l’autre, j’ai toujours hâte de vous lire. C’est tel intéressant. Un bon petit poisson pour le souper de demain, bien roti, il me semble que ça vous ferait beaucoup de bien et vous donnerait des forces.
Passez une très bonne nuit et vous souhaite la meilleure des journées pour demain. Go, Go, Go.

Bonjour, ca dépasse l’imaginaire de partir pour une telle aventure, et oublier son manteau…, ca dépasse l’imaginaire de naviguer sur une telle rivière, sans pêcher, et surtout de se nourrir de barres tendres…, tout ceux qui ont descendus cette rivière ont pêché de l’ Arctic Char (omble chevalier), et des truites rouges, mais, Fred lui aime mieux les barres tendres et la Camomille, aussi merci pour le cours de médecine  »101 » sur l’humidité.

Fred, malgré tes fesses dans ton trou d’eau et ton magnifique habit de gala, tu réussis à me faire sourire par ta façon de parler de ton nouvel ami « l’humidité ». Est-ce que tu as abandonné l’idée de chasser ou pêcher et que les barres tendres vont tenir jusqu’à la fin du voyage ? J’espère qu’il fera soleil afin de bien te sécher. Bonne route.

Quel aventurier ! Quelle poésie ! Quel Frédéric !
Une chance que toutes celles et ceux qui vous « suivent » vous ont.
Ça semble difficile à croire, mais nous sommes tous à l’aventure en vous lisant chaque fois. Vous nous gardez sur le qui-vive, savez nous faire sourire et aussi nous faire nous inquiéter. Et c’est merveilleux! Je voudrais bien enlever un peu d’humidité de votre scène d’aventure pour ajuster la zone de confort, mais retenir que ça vous permet de moins vous déshydrater et que c’est un plus dans les circonstances. Il y a toujours un bon côté à toutes les situations. Il faut virer de bord la médaille ou le dé. Et puis lorsque le temps est très humide, les couleurs sont davantage saturées et on fait des photos qu’on n’obtiendrait pas sous un soleil ardent.
Bien sûr… je vais contribuer à « Opération Enfants Soleil » et c’est tout à votre honneur. C’est l’effort qui est à notre portée et il faut le faire. Bonne suite !

Fantastique de pouvoir te suivre dans tes aventures, c’est très inspirant, cela fait réfléchir…. Ton p’tit bonheur, ton sens de l’organisation, tes astuces, ton courage, ta détermination, et ton enthousiasme sont des éléments indispensables à la réussite de cette belle et grande aventure alors garde précieusement tout ces trésors, ta route est belle et on est tous avec toi Fred!!!

Je fais le suivi de l’expédition avec intérêt et j’ai indiqué les progrès journaliers sur Google Earth. Frédéric a maintenant parcouru 355.5 kilomètres selon mes calculs et il lui en reste encore 87 avant d’atteindre Tulita. Hier soir il a subi l’orage à 3.5 kilomètres de la base KP160 de Enbridge tout à côté de la barge qui fait la traversée du McKenzie (si elle est encore là).
J’admire la tenacité et la débrouillardise de Frédéric et je vais contribuer à sa cause. Je vais aussi participer à sa conférence de Québec
Bravo Frédéric
Quel est le point d’arrivée prévu??

Gérard Sirois

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